Il est Argentin mais a chanté la Marseillaise avant la dernière finale du Top 14. Au fond, qui mieux qu’Omar Hasan pouvait interpréter notre hymne, lui qui a si longtemps poussé en mêlée avant de pousser la chanson ? L’ancien pilier de rugby devenu baryton chante juste mais dénote. Il raconte son parcours unique dans un livre.

« J’ai longtemps été la femme à barbe des fêtes foraines. Imaginez, le rugbyman chanteur lyrique. » Omar Hasan est bien conscient d’avoir dénoté dans le paysage rugbystique, comme dans le monde artistique dans lequel il baigne aujourd’hui. Lui, le pilier d’1,83 m et 112 kg, à la carrure d’Hercule et au cou de taureau, adepte du chant et de l’opéra au point d’en avoir fait son métier. Le contraste est saisissant entre le rugbyman casqué au visage fermé, « presque méchant », et celui de l’artiste affable.

« J’ai toujours eu cette sensibilité en moi. » Cela tient peut-être à ce mélange de cultures qui coule dans son sang. Argentin, son grand-père paternel venait de Syrie, les ancêtres de sa mère des Pyrénées. Omar Hasan, né à Tucumán, à la confluence de l’islam et du catholicisme, a grandi bercé par le son du tango et de la culture française.

Gamin, il s’initie au folklore argentin, apprend les textes, les chantonne ou imite des crooners. « J’ai toujours chanté, partout, tout le temps. J’avais des goûts musicaux en décalage avec mes copains. Ils me regardaient bizarrement en me disant « c’est quoi cette musique ? ». Mais, à la fois, ça les amusait. »

Le jeune Omar n’en est pas moins un garçon turbulent, limite bagarreur, qui va trouver dans le rugby un moyen de canaliser son énergie. Un sport qui convient bien à sa force naturelle. « J’aime foncer droit devant, sans détour, ne craignant pas d’aller au contact. »

Il deviendra donc pilier droit, sera vite repéré et gravira les échelons. Après avoir choisi d’en faire son métier, il abandonnera ses études d’ingénieur agronome. Et c’est en France qu’il va faire carrière. Auch, Agen, Toulouse. 18 ans au plus haut niveau avec un titre de champion de France en apothéose, le soir de son dernier match professionnel en juin 2008. Il compte aussi trois Coupes du monde sous le maillot des Pumas.

Le tango chevillé en lui

Durant cette brillante carrière, son amour du chant ne le quitte jamais. Toutes les occasions pour pousser la chansonnette sont bonnes : les 3e mi-temps, bien sûr, les retours dans le bus, les fêtes de famille… Funiculi, Funicula, une chanson napolitaine, mais aussi New York New York de Sinatra. « Tout le monde adorait et faisait les chorus. Puis ma voix s’est développée. J’ai découvert que j’avais une tessiture de baryton. »

Au début des années 2000, Jean-François Gardeil, un professeur d’art lyrique, lui révèle le potentiel de sa voix et l’invite à le rejoindre pour travailler. Banco. Il est ensuite reçu au conservatoire de Toulouse qu’il suit entre deux entraînements avec le Stade Toulousain. Puis parfait sa technique avec la grande mezzo-soprano Jane Berbié. C’est plus que mettre du c (h) œur à l’ouvrage. « Je ne sais pas ce qui est le plus difficile entre devenir rugbyman ou chanteur. En revanche, chez les deux le talent ne suffit pas. C’est le travail qui compte. »

Les crampons remisés, grâce à sa persévérance, Omar ne tarde pas à monter sur scène, donne des récitals. C’est son « envolée lyrique ». Il collabore à une adaptation de Carmen ou endosse le rôle principal de L’Histoire de Jephtée, un oratorio de Carissimi.

Plus récemment, il a chanté dans Les Contes d’Hoffmann. « J’y interprète les quatre rôles du diable. C’est difficile, car il faut une voix large des graves aux aigus. C’est aussi éprouvant. En outre, jouer les méchants, ce n’est pas ma nature », sourit le gentil colosse, aussi devenu choriste au Capitole. « Quand ils ont besoin, ils m’appellent. »

Mais Omar Hasan a surtout le tango chevillé en lui. Avec son ami Patrick Jourdain, ils ont créé le spectacle Café Tango, une ode à cette musique baroque et poétique. 200 représentations plus tard, le spectacle continue de tourner que déjà le prochain est en préparation.

« Il s’appellera Bel Cantor. J’y raconte ma vie, comment j’ai découvert le tango avec mon père qui l’écoutait tous les dimanches à la radio. Cette musique que je ne comprenais pas, mais qui a mûri en moi et fait aujourd’hui rejaillir des souvenirs d’enfance. » Le baryton se mue aussi en comédien. « Car j’aime faire rire les gens. »

Cependant, comme une finale de championnat, l’opéra reste le challenge premier de l’ancien rugbyman. « Car ça demande toujours plus. » Au sein de la troupe, il retrouve l’esprit d’une équipe de rugby, « où certains dans l’ombre travaillent pour ceux qui sont dans la lumière du devant de la scène. » Lui, l’ancien pilier rompu aux taches obscures, sait de quoi il parle et les ailiers qui filaient marquer des essais lui devaient autant que la diva doit ses ovations aux techniciens, machinistes ou autres choristes.

Aujourd’hui, la « femme à barbe » a laissé place à un artiste complet, un travailleur acharné, dont la rigueur et la technique de chant n’ont d’égales que celles qu’il s’échinait à déployer en mêlée. « Ma plus grande satisfaction, c’est quand des gens me disent « on était venu voir un rugbyman. On sort en ayant vu un artiste » ». Il pourrait donc un jour prétendre à être Figaro dans le Barbier de Séville, même si son rêve c’est de chanter Verdi et d’être le Marquis de Posa dans Don Carlos. Dont acte.

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